* Le plus fort, c'est mon père *
Et voilà, après des dizaines et des dizaines d'années de bons et loyaux services, il part à la retraite...
Ca va leur faire bizarre, à eux...
Ceux avec qui il travaillait, pour qui il avait toujours un petit mot pour rire ou une parole aimable. Ceux qui l'ont apprécié autant pour ses larges compétences que pour sa gentillesse quotidienne.
Ca va leur faire bizarre aussi, à ces autres...
Ceux qui ont défilé avec lui dans les rues, pour protester contre les injustices. Compagnons de manif, mais surtout compagnons d'espoir, toujours le tract à la main et la parole vaillante. Lui qui s'est battu contre tout et tous, sans courber le dos, simplement parce qu'il est l'un des rares à croire encore aux mots: égalité, fraternité, solidarité. De toutes façons, un homme ne vieillit que lorsque ses regrets ont pris la place de ses rêves....
Ca va lui faire bizarre également, à elle...
Elle qui partage sa vie depuis des années, mais qui a su aussi le partager avec toutes ses convictions. Oui, ça prend du temps de défendre les autres. Tous les deux ils ont construit la plus belle chose du monde: une famille, des enfants, de l'amour encore et encore. Elle va enfin ne "l'avoir que pour elle"... Rando en montagne, sculpture devant le poële à bois, foire d'Aoste, visite chez les filles dans le sud ou sur Lyon, promenade avec les petits blancs. Tant de choses à faire ensemble, puisqu'enfin vous avez le temps, et dieu sait que vous l'avez mérité. "Vieillir ensemble ce n'est pas ajouter des années à la vie, mais de la vie aux années"...
Ca va leur faire bizarre, aussi à elles...
Elles qui ont toujours vu leur papa occupé, un combat syndical à gauche, un problème à régler à droite. Elles qui, malgré les années, téléphonent toujours pour demander des conseils, parce que LUI il sait. Elles qui voudraient tellement prendre soin de lui, tout comme il a pris soin d'elles, mais qui se sentent parfois impuissantes à cause de la distance.
Je sais qu'elles repensent à ces moments partagés : devant le St Laurent, quand il est venu chercher "sa pépette" pour la ramener au bercail ; ou quand elle s'effondrait dans ses bras (les plus forts de la terre) en criant aux injustices de la vie ; ces quelques paroles échangées si rapidement, avec tant de pudeur... C'est difficile de se dire qu'on s'aime... Et pourtant...
Ca va lui faire bizarre, à lui, enfin...
Parce qu'il a l'autorisation de se reposer, qu'il peut désormais penser à lui. Est-ce qu'il va savoir faire? Est-ce qu'il va s'accorder le droit de passer en premier, avant les autres? J'espère vraiment qu'il va continuer à avancer sur le chemin aussi fièrement qu'il l'a toujours fait, riche de ses années passées et encore plus riche de ce qu'il fera des années à venir.
Pour finir, une tirade qui, j'en suis sûre, le touchera. Pour moi elle le représente tellement bien:
"Mais... chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre.
Mettre, quand il vous plait, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non se battre... ou faire un vers!
Travailler sans souci de gloire ou de fortune
A tel voyage auquel on pense, dans la lune!
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortit
Et modeste d'ailleurs se dire : mon petit
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles!
Puis s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César.
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite.
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !"
Je suis très très fière de tout ce que tu as accompli !
Je t'aime terriblement fort !!
Bonne retraite papa !